LA BÊTE QUI MONTE DE LA MER - 2 -
Mais revenons-en à la période mémorable où le titre pontifical fut décerné à l'évêque de Rome. Les circonstances dans lesquelles ce titre païen fut donné au pape Damasus étaient de telle nature qu'elles n'auraient pas été une légère épreuve pour la foi et pour l'intégrité d'un homme fidèle que lui. Le paganisme était légalement aboli dans l'empire d'occident, et cependant il existait encore dans la ville aux sept collines, à ce point que Jérome, écrivant de Rome à cette même époque, l'appelle le cloaque de toutes les superstitions. Aussi, tandis que partout dans l'empire l'édit impérial sur l'abolition du paganisme était respecté, dans Rome même, il était dans une large mesure, comme une lettre morte. Symmaque, préfet de la ville, et les familles patriciennes les plus distinguées, étaient, aussi bien que la masse du peuple, fanatiquement dévouées à l'ancienne religion ; aussi l'empereur reconnut qu'en dépit de la loi, il fallait tolérer l'idolâtrie des Romains. Le lecteur pourra juger par les lignes suivantes de Gibbon, à quel point le paganisme était encore enraciné dans la cité impériale, même lorsque le feu de Vesta se fût éteint et qu'on eût retiré aux Vestales l'appui de l'état : " La statue et l'autel de la Victoire furent retirés de l'édifice du Sénat ; mais l'empereur respecta les statues des dieux exposées à la vue du public ; quatre cent vingt-quatre temples ou chapelles furent encore laissés pour satisfaire la dévotion du peuple, et dans chaque quartier de Rome la délicatesse des chrétiens était offensée par la fumée des sacrifices offerts aux idoles."----Telle était la puissance du paganisme à Rome, même alors que le patronage de l'état lui était retiré, vers l'année 376.
Mais transportez-vous seulement à cinquante ans plus tard, et voyez ce qu'il est devenu.
Le nom du paganisme a presque entièrement disparu; à ce point que le jeune Théodose, dans un édit rendu en l'an 423, s'exprime en ces termes :" Les païens qui existent encore, bien que nous croyons qu'il n'y en ait plus un seul aujourd'hui". Les paroles de Gibbon sur ce sujet sont bien remarquables. Tout en admettant entièrement que malgré les lois impériales contre le paganisme, aucune " condition spéciale" n'était imposée aux sectaires qui recevaient avec confiance les fables d'Ovide, et repoussaient avec obstination des miracles de l’Évangile, il témoigne sa surprise de la rapidité avec laquelle les Romains passèrent du paganisme au christianisme. La ruine du paganisme, dit-il, ( et il donne pour date, de 378, année où l'évêque de Rome fut pontife,à 395). -----La ruine du paganisme à l'époque de Théodose est peut-être le seul exemple de l'extirpation d'une superstition ancienne et populaire; et on peut dès lors le considérer comme un évènement extraordinaire de l'histoire de l'esprit humain. Après avoir parlé de la conversion rapide du Sénat, il ajoute : L'exemple édifiant de la famille Anicienne, ( en embrassant le christianisme) fut bientôt suivi par le reste de la noblesse. Les citoyens qui vivaient de leur industrie, et la populace qui subsistait au moyen des libéralités publiques, remplissaient les églises de Latran et du Vatican d'une foule incessante de dévots prosélytes. Les décrets du Sénat qui proscrivaient le culte des idoles étaient ratifiés par le consentement général des Romains ; la splendeur du Capitole fut effacée et les temples déserts abandonnés à la ruine et au mépris; Rome se soumit au joug de l’Évangile... La génération qui apparut dans le monde après la promulgation des lois impériales, fut élevée dans le sein de l'Église Catholique, et la chute du paganisme fut si rapide et cependant si douce, que 28 ans seulement après la mort de Théodose ( l'aîné), l'oeil du législateur n'en distinguait plus les traces.
Or, comment expliquer cette grande et soudaine révolution ?
La parole de Dieu avait-elle eu un libre cours ?
Avait-elle été glorifiée ?
Alors que signifie le nouvel aspect que l'Église Romaine commence maintenant à prendre ?
Le paganisme se révèle à l'intérieur de l'Église dans la même proportion qu'il a disparu de l'extérieur. Les vêtements païens des prêtres, les fêtes païennes pour le peuple, les doctrines et les idées païennes de toute espèce dominent partout. Le témoignage du même historien qui a parlé d'une manière si concluante de la rapide conversion des Romains à la profession de l’Évangile, n'est pas moins décisif à cet égard. Dans le tableau de l'Église Romaine sous le titre de " Introduction des rites païens", il s'exprime ainsi : " Comme les objets de religion étaient graduellement rabaissés aux besoins de l'imagination, on introduisit les rites et les cérémonies qui paraissaient devoir frapper le plus puissamment les sens de la foule.Si au commencement du V siècle, Tertullien ou Lactance était tout à coup ressuscité pour assister à la fête de quelque saint populaire, il aurait été muet d'étonnement ou d'indignation devant ce profane spectacle succédant au culte en esprit et en vérité d'une congrégation chrétienne.
Voici qu'on a ouvert toute large la porte de l'Église.
Ce qui le frappe, c'est la fumée de l'encens, le parfum des fleurs, l'éclat des lampes et des cierges qui brillent en plein midi : une pareille lumière n'est-elle pas superflue, bien plus, sacrilège ?" Gibbon donne des détails plus concluants encore. Maintenant peut-on croire que tout cela fût accidentel ? Non; c'était évidemment le résultat de cette politique sans principes dont nous avons vu, dans le cours de nos recherches, beaucoup d'exemples fournis par la papauté. Le pape Damasus vit que dans une cité adonnée exclusivement à l'idolâtrie, s'il maintenait l’Évangile pur et entier, il devait porter la croix, affronter la haine, le mauvais vouloir, " endurer la peine comme un bon soldat de Jésus-Christ." D'un autre côté, il ne pouvait s'empêcher de voir également, que si en portant ce titre, autour duquel pendant tant de siècles s'étaient groupées toutes les espérances et les affections du paganisme, il donnait à ses sectateurs des raisons de penser qu'il voulait agir sur l'esprit original de ce titre, il pouvait compter sur la popularité, l'agrandissement et la gloire.
Quelle alternative Damasus allait-il donc choisir ?
L'homme qui entra à l'évêché de Rome comme un voleur et un larron sur les cadavres de cent de ses adversaires, ne pouvait point hésiter sur le choix qu'il avait à faire. Le résultat montre qu'il avait agi avec énergie; et qu'en prenant le titre païen de pontife, il s'était décidé même en faisant le sacrifice de la vérité, à justifier ses prétentions à ce titre aux yeux des païens, en se donnant comme le représentant légitime de leur longue série de pontifes.
Il est impossible de faire aucune autre supposition.
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